A. Le vécu de l'agression
Le traumatisme a des effets à court, moyen et long terme. Selon le fonctionnement psychique de chacun, son âge, son sexe et ses antécédents (psychiatriques et/ou traumatiques), le vécu de l'agression sera très différent. A court terme, un état de stress intense va durer quelques heures (parfois quelques jours) et va se manifester par un état de sidération anxieuse (mécanisme de défense archaïque de camouflage dans le milieu naturel) ou, au contraire, d’agitation inadaptée (équivalent d’un réflexe de fuite avorté). La verbalisation est souvent difficile voire impossible. Au niveau du comportement on peut observer un repli sur soi avec un désarroi émotionnel, des pleurs et de l’angoisse allant parfois jusqu’à des tremblements ou des vomissements.
La culpabilité est omniprésente. L'impression de souillure n'est pas toujours évoquée spontanément mais parfois dans un second temps. Le sentiment de honte4 est également parfois retrouvé.
B. La prise en charge immédiate
Elle vise principalement à rassurer la personne sur la normalité de ce qu'elle ressent. Il s'agit d'être attentif et empathique sans pour autant dramatiser l'agression. Pour le praticien, c'est aussi un temps d'évaluation des risques d'apparition de troubles secondaires et la possibilité d'instaurer un climat de confiance qui permettra, si cela s'avère nécessaire, une orientation vers un spécialiste. Il est important d’évaluer la qualité de l’entourage et le risque de passage à l’acte suicidaire. Une hospitalisation ou un hébergement social d’urgence peuvent au besoin être proposés.
C. Ce qu'il ne faut pas dire aux victimes
Tout ce qui peut induire un sentiment de culpabilité est à éviter :
“ Vous n’aviez jamais pensé que vous pouviez vous faire violer ? ”, “ Comment étiez-vous habillé(e)? ”, “ Que faisiez-vous là à cette heure-là ? ”, “ Pensez-vous avoir laissé entendre que vous étiez d'accord ? ”, “ Ce qu’il faut c’est vous déculpabiliser ”, “ Ce n’est pas si grave que ça ”, “ Maintenant il va falloir essayer d’oublier ”, “ Vous êtes sûr que vous ne pouviez pas vous défendre ? ” …
Se souvenir également que lors d'une agression la menace et la peur entraînent un état de sidération. Un oubli total ou partiel des faits est très fréquent. Il ne faut pas souligner trop ouvertement ces incohérences lors de la description des faits. C'est le rôle de l'enquête judiciaire. En règle générale, il ne faut perdre de vue que, face à une victime, toute insinuation même légère sur la véracité de ses dires peut être interprétée comme une nouvelle agression.
D. Quand faut-il faire appel à un psychiatre ?
D’emblée :
§ Lorsque la personne présente des antécédents sur le plan psychiatrique ou des éléments de fragilité sur le plan psychologique.
§ Lors d’un état de détresse manifeste avec prostration intense, agitation, agressivité anormale.
§ Lors de symptômes de déréalisation ou de dépersonnalisation (la victime a le sentiment d’avoir été spectateur de sa propre agression).
§ Lors d’un risque de passage à l’acte suicidaire.
Dans un second temps :
§ Lorsque les symptômes présentés par la victime ont des répercussions sur sa vie quotidienne : par exemple l’incapacité à sortir de chez soi ou à reprendre une vie sociale normale.
§ Lorsque les fonctions vitales (sommeil, appétit …) et le rythme de vie sont perturbés de façon persistante.
§ Lorsqu'il existe des symptômes de dépression (avec ou sans idées suicidaires) ou d’état de stress post-traumatique.
E. Risques évolutifs des agressions sexuelles insuffisamment prises en charge
§ L’état de stress aigu
Dans les heures, les jours ou les semaines (de 2 jours à 4 semaines) qui suivent une agression on peut observer un état de sidération avec une impression de détachement qui peut aller parfois jusqu'à un tableau de dépersonnalisation. L’événement traumatique est alors totalement envahissant et peut désorganiser la pensée. L’anxiété est majeure et peut se manifester sous diverses formes.
§ L’état de stress post-traumatique (PTSD pour les anglo-saxons)
Il s’agit d’un trouble anxieux spécifique qui survient après “ un événement stressant patent qui entraînerait des signes évidents de détresse chez la plupart des individus ”. Cet état apparaît chez la victime après une phase de latence (quelques semaines à quelques mois). Un événement intercurrent (rupture, bouleversement familial ou professionnel, nouvelle exposition à un traumatisme) peut favoriser son installation.
Il faut savoir que les symptômes du PTSD sont variés et complexes et qu’il n’existe pas de syndrome post-abus sexuel spécifique.
Le PTSD est caractérisé par le syndrome de répétition traumatique dont la durée est supérieure à un mois. Les symptômes sont les suivants :
§ Des cauchemars où le sujet revit l’agression dont il a été victime.
§ Des ruminations diurnes durant lesquelles la victime pense à l’agression de façon obsédante, au point d’être dans l’incapacité de mémoriser ou de se concentrer sur un travail.
§ Des réactions de sursaut qui traduisent un état d’hyper vigilance où tout élément de l’environnement est vécu comme potentiellement dangereux ou anxiogène. Des conduites d’évitement peuvent alors s’installer et aller jusqu’à empêcher le patient de sortir de chez lui.
§ La personne présente souvent un émoussement affectif et un désintérêt de plus en plus marqué pour les activités et le monde extérieur. Toute initiative devient alors pénible et le sujet a tendance à se replier sur lui-même.
Ces troubles peuvent devenir chroniques dans plus d’un tiers des cas.
§ Le cas particulier des abus sexuels qui se déroulent sur une longue période
Ils sont majoritairement le fait de violences sexuelles intrafamiliales, soit dans le cas de violences conjugales ou lors d'abus sexuels sur les enfants. Le facteur familial est à prendre en considération avec toute l'ambivalence des sentiments que cette situation peut générer. La victime se trouve alors, de fait, coupée de tout étayage familial. Dans ces situations, la question de la réparation, est beaucoup plus compliquée du fait de l’implication affective des victimes vis-à-vis de leur agresseur.
F. La prise en charge psychothérapeutique des victimes
Une prise en charge globale de la victime est impérative pour permettre un véritable travail de réparation du traumatisme subi. Le thérapeute ne peut pas faire l'impasse de l'importance symbolique et réelle de la réparation judiciaire. Les associations d'aide aux victimes peuvent dans ce cas faire le lien avec l'institution judiciaire. Il est doncnécessaire de se référer à la loi, cadre de référence, sans néanmoins jamais imposer un dépôt de plainte comme préalable au travail thérapeutique.
Les approches thérapeutiques recommandées sont les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et les thérapies psycho dynamiques qui vont permettre au sujet une réappropriation progressive de son corps et de sa vie psychique sans chercher à modifier en profondeur le fonctionnement psychique. La plupart des victimes n'avaient pas avant l'agression le projet de rencontrer un psychothérapeute. Il ne s'agit pas d'une demande motivée par un désir personnel mais d'un besoin de soutien et d'accompagnement.
CONCLUSION
La grande majorité des victimes de violences sexuelles sont de sexe féminin. La moitié des crimes et des délits sexuels concerne des mineurs. Les victimes ont, le plus souvent, un lien familial avec leur agresseur. Il est important de suspecter ce type de violences face à certains symptômes parfois peu spécifiques chez l'enfant et l'adolescent. En cas d'agression récente les victimes seront accueillies sans délai. La prise en charge doit se faire avec empathie à la fois sur le plan médical (examen clinique, prélèvements) et psychologique. Un état de stress aigu peut être observé et à plus long terme la victime peut présenter un état de stress post-traumatique. Certains symptômes post-traumatiques immédiats ou différés peuvent nécessiter une prise en charge psychiatrique.
Pour permettre une véritable réparation du traumatisme subi, la victime doit être abordée de façon globale et la question de la réparation judiciaire est essentielle.
Cependant, on ne doit pas imposer un dépôt de plainte comme préalable à une prise en charge médicale ou psychologique.
Référence : N. Giraudeau, M. Langlois et F. Thibaut : Accueil d’un sujet victime de violences sexuelles. 2005.